Une nuit d’hiver

Trois jours durant, il avait neigé. De lourds flocons étaient mollement tombés, couvrant la nature d’un blanc et paisible duvet. En fin d’après-midi, ce jour-là, le ciel s’était enfin éclairci. Lorsque le soleil avait disparu à l’horizon, la température avait chuté avec lui. La nuit était glaciale. Un perfide petit vent s’échinait à se faufiler dans les moindres interstices des murs, des portes et des fenêtres. Tapis à l’intérieur d’une masure, sise dans un quartier modeste de la ville, deux amoureux s’en moquaient. Ils se réchauffaient de la présence l’un de l’autre.

La maison n’était pas terminée. Antonin l’avait construite à la hâte, empressé qu’il était de convoler en juste noce avec sa bien-aimée. Il aurait pu avoir honte, elle n’était pas digne d’un membre de sa profession, s’il n’avait vu briller les yeux d’Alice. Elle n’aurait pas été plus heureuse s’il lui avait offert un palais et il le ferait. Il le lui avait promis et ce l’était promis plus encore. Il en ferait un endroit douillet et confortable, une demeure digne d’elle où élever leurs enfants. En attendant, c’était avec un brin d’humour qu’il avait étalé au sol la paille qu’il avait quémandée à son beau-père. Les volets sur l’unique fenêtre de la pièce principale et sur celle de la petite chambre adjacente étaient clos. Il les avait calfeutrées et recouvertes d’une couverture. D’autres vieux bouts de tissus avaient été entassés sur le seuil de leur porte. De grosses bûches de bois dur brûlaient dans l’âtre. Même ainsi, même en ayant pris toutes ses précautions pour la nuit à venir, il ne faisait pas si chaud. Blottis dans leur lit, sous une lourde courtepointe, ils étaient bien. Ils s’étaient endormis, enlacés, leurs mains croisées sur le ventre légèrement rebondi de la jeune femme.

La nuit était calme et paisible. De la fumée s’échappait d’innombrables cheminées. Nul ne remarqua qu’elle s’épaississait davantage au-dessus de celle des jeunes mariés. Il n’y avait personne dans les rues gelées. Nulle lumière ne brillait à aucune fenêtre. Aucun voisin curieux ne scrutait les ténèbres pour donner l’alarme. Les flammes gourmandes dévorèrent le conduit, embrasèrent le toit. Elles caressèrent les murs, puis s’attaquèrent aux garnitures de la porte et de la fenêtre, tels des gourmandises. La paille s’enflamma et donna naissance à un brasier infernal.

Antonin grogna. Il suait à grosses gouttes. Pourquoi s’étaient-ils autant couverts? Il toussa, la gorge irritée, incommodé par cette odeur. Une odeur? Il ouvrit les yeux pour découvrir l’étendue de la catastrophe. L’absence de paille dans l’embrasure de la chambre l’avait épargnée, mais cela ne durerait pas. Déjà les flammes léchaient la mince cloison.

– Alice… Alice!

Il secoua sa femme doucement, puis avec plus de vigueur. Elle ne se réveillait pas. Avait-elle déjà inhalé trop de fumée?

– Alice!!!

Elle poussa une légère plainte. De soulagement, il la serra dans ses bras et sans attendre, la tira hors du lit. Elle posa sur lui un regard égaré. C’était sa faute, son entière et totale faute. Il aurait dû être plus patient. Il aurait dû être plus minutieux. Il aurait dû mieux prévoir les affres de l’hiver. Peu importait ce qui avait déclenché l’incident, cela n’aurait pas dû se produire s’il avait mieux fait son travail. La charpente n’aurait pas dû pouvoir brûler aussi vite. La culpabilité lui tordait les entrailles, mais pour l’heure, la priorité était d’évacuer son épouse de là. Il la tira jusqu’à la fenêtre, en position accroupie.

– Ne bouge pas.

Il se redressa le temps d’arracher tout ce qui obstruait la précieuse ouverte. L’appel d’air ainsi créé fit rugir le brasier. Le feu s’engouffra et s’attaqua au lit. Antonin prit une rapide inspiration au ras du sol avant d’embrasser la jeune femme.

– Je vais t’aider à sortir.

– Antonin…

Son ton l’implorait. Il s’efforça de lui sourire, sans conviction.

– Je te suis, ne t’inquiète pas.

Il se releva en la prenant dans ses bras. Il fit passer ses jambes par la fenêtre. Un fort craquement le fit sursauter. Il l’échappa et elle chuta dans la neige. Le temps qu’elle se redressât en toussant, le toit s’effondra sur la maison et une poutre tomba sur la jeune femme. Elle perdit connaissance.


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Saisissez votre adresse e-mail afin d’être informé de la parution de chaque nouvel article!



Suivez-moi sur les réseaux sociaux


Catégories