La dernière lettre

La lettre avait été déposée au centre de la table. C’était un papier tout simple, de mauvaise qualité, froissé, abîmé, retapé, innocent et menaçant. Alice avait envie de le déchirer, de le détruire pour nier son existence ou de le prendre et de le serrer contre elle comme si ce dernier lien pouvait lui ramener la personne dont il était question. Elle voulait le fuir et ne pas s’en éloigner. Elle voulait… Elle voulait sa sœur. Ses yeux rougis et plein de larmes fixaient la missive et ne voyaient plus rien. Elle s’accrochait à sa fille, son adorable petite fille, blottie dans ses bras. Sa sœur était morte. Sa jumelle, son double, l’autre moitié d’elle-même, n’était plus. Elle n’avait pas pu la revoir une dernière fois. Elle n’avait pas pu lui parler d’Amélia. Elle n’avait pas pu…

Autour de la table se tenait un débat sur l’un des sujets du message. Enfin, Hector écoutait. Thomas disait un mot de temps à autre et Corine argumentait avec elle-même pour se justifier. Alice était hébétée. Plus rien n’avait de sens. Ce n’était que du bruit, du vent. La désagréable voix de sa belle-sœur lui donnait la nausée sans réussir à attirer son attention.

– Alice… Alice?

Son frère posait sur elle un regard rempli de tristesse et de compassion.

– Nous devons refuser. Tu comprends, n’est-ce pas?

Comprendre? Comprendre quoi? Qui avait-il à comprendre dans la mort de Marie? Non… non, elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait plus rien du tout.

– C’est même ridicule d’en parler! Elle n’a rien à faire ici. Personne n’a le droit de nous imposer ce fardeau. Je ne la veux pas dans ma maison.

– Corine, je t’en prie… Alice, Catherine sera mieux là-bas. Elle est en sécurité. Ici, elle se mettrait et nous mettrait tous en danger. Tu dois répondre au père Ambroise et lui demander de la garder.

Elle dévisagea son frère. Non, elle n’était pas d’accord. En fait, sa première idée aurait été de partir sur les routes sur le champ afin d’aller retrouver sa nièce. S’ils ne l’avaient pas approuvée, elle ne serait pas revenue. Malheureusement, Amélia ne supporterait pas un tel voyage et il était hors de question de l’abandonner ici, toute seule, avec cette femme que son frère avait épousée. Elle aurait craint de ne jamais la revoir en vie. Elle aurait pu discuter et se battre, si elle en avait eu la force. Elle se sentait vide. Une partie d’elle était morte. Elle n’avait pas le courage de se lancer dans une lutte dont le résultat n’était pas garanti.

– Je respecterai votre décision. Excusez-moi.

Elle se leva en gardant sa fille dans ses bras et se dirigea vers sa chambre. Son père la regarda aller sans dire un mot. Ce n’était pas nécessaire. Ce n’était pas le moment. Il l’avait devinée et la soutiendrait lorsque le temps serait venu. Il portait déjà trop de regrets sur les épaules. Il ne s’ajouterait pas celui-là.

Dans la chambre, la jeune femme prit son écritoire et s’installa sur son lit. Amélia ne la quittait pas, voulant de tout son petit cœur la réconforter.

– Maman? Catherine, est-elle seule maintenant?

Sa mère se pencha vers elle pour lui souffler dans le creux de l’oreille. Dans cette pièce aux murs si minces, cette précaution n’était pas superflue.

– Ce sera notre secret, d’accord? Elle ne sait pas encore, mais non, elle ne l’est pas. Nous serons là pour elle, toutes les deux. Elle va venir nous rejoindre.

La petite conserva un air calme et sérieux, digne de la circonstance et du chagrin de sa mère. Toutefois, dans son regard brilla une lueur de pur bonheur. Le destin lui offrait-il une grande sœur?


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