Le cœur d’Aimée

Des regrets, des regrets et encore des regrets! Aimée s’y noyait, un sourire crispé aux lèvres. Autour d’elle, c’était la fête. Les gens dansaient, riaient. Ils s’amusaient, tandis qu’elle était prisonnière d’une situation qu’elle s’était elle-même créée.

Après des mois à rechercher leur compagnie, malgré leurs infectes manières hautaines, à rire de leurs mauvaises plaisanteries et à tout faire pour leur être agréable, elle avait su trouver grâce aux yeux de Charlotte Rouvier et d’Estelle Jonfleur. Elle ne se faisait pas d’idées. Elle était fille de paysan et, à ce titre, ne mériterait jamais d’être totalement admise dans leur cercle, mais c’était sans importance. Pour l’heure, elle les amusait. Elles l’avaient donc invitée à se joindre à elles et leurs amies, après le départ des enfants. C’était l’occasion tant espérée. Ce soir, « il » la verrait enfin. « Il » la remarquerait. Et ensuite… Son imagination fertile avait fait battre son cœur et colorer ses joues. Quelle sottise… Que d’espoirs déçus…

Elle avait soigné sa toilette avant de se rendre au festival. Elle avait trépigné d’impatience au moment de dire au revoir à sa famille. À peine avait-elle esquissé un geste pour saluer Catherine de loin, qu’elle le regrettait. Elle s’était réconfortée en se disant que c’était la bonne chose à faire. Elle ne pouvait, en toute conscience, l’ignorer et l’abandonner, seule. Son profond soulagement s’était teinté de culpabilité lorsqu’elle s’était éloignée au milieu de la foule. Maintenant, cela aussi elle le regrettait. Si la jeune fille l’avait rejointe, elle aurait pu lui servir d’excuse pour se sortir de ce guêpier.

Tout avait été de travers, dès le début. Loin d’être chaleureusement accueillie par le groupe de prétentieuses, elles lui avaient lourdement fait comprendre la faveur qu’elles lui accordaient. Elle avait dû subir et acquiescer à des moqueries douteuses sur ses amies et des personnes qui lui étaient chères, avec le sourire qui plus était. Elle s’était crue récompensée de tous ses efforts lorsque Jérémie Rouvier était venu les saluer. Ce n’avait été qu’une autre désillusion. Il lui avait à peine adressé un air narquois. En surprenant un murmure entre lui et un autre jeune homme, elle en avait compris la raison. À ses yeux, sa sœur et son entourage n’étaient que de petites écervelées, frivoles et sans intérêt. Il s’était dès lors, d’ores et déjà fait une opinion à son sujet, sans même la connaître. Après quelques minutes en sa compagnie, Aimée en avait autant à son service. Mais, peut-être, laissait-elle seulement parler sa rancœur d’avoir ainsi fait fausse route. Heureusement, il avait mieux à faire que leur tenir compagnie.

La discussion était insipide, ennuyeuse. Elle ne s’y mêlait pas et cessa tout bonnement d’écouter, après le départ de Jérémie. Un groupe de jeunes hommes en avait profité pour les rejoindre, au grand plaisir de certaines, mais non au sien. Leur badinage ne dissimulait pas leurs intentions peu louables et son manque d’intérêt leur semblait être un défi amusant à relever. Après tout, la compagnie qu’elle s’était choisie ne plaidait pas en sa faveur.

Voilà où elle en était et elle ne savait plus que faire. Elle fuyait les avances trop insistantes et n’arrivait plus à rire, même faussement, des médisances. Elle voulait s’en aller, mais ne savait comme s’y prendre. Pour une amourette, elle avait négligé ses amies. Elle les avait blessées. Elle saurait se faire pardonner. Toutefois, ce n’était ni l’endroit, ni le moment. Elle ne pouvait pas simplement aller les rejoindre, pas sans ajouter l’insulte de les prendre pour acquises à l’ensemble de ses fautes. Et même si elle avait osé, ses nouvelles compagnes lui auraient fait payer très cher un départ sans raison valable. Ne devait-elle pas être honorée d’être en leur présence? Elle n’avait pas le courage d’être un sujet de risée pour les semaines à venir, ni de commencer en étant seule dans un coin à une fête… Personne ne s’intéressait à elle. Personne ne l’invitait à danser. Ces messieurs semblaient avoir fait d’elles leur chasse gardée. Aimée se sentait prise au piège.

Un verre à la main, près du buffet, il l’observait depuis un moment, un très long moment. En fait, il ne pouvait détacher son regard d’elle à la moindre occasion, depuis le premier jour. Il ne l’avait jamais approchée, lui avait encore moins adressé la parole. Une fois, une seule, il avait été tenté. Ses pensées s’étaient mises à bafouiller. Ses pensées! À ouvrir la bouche, il se serait couvert de honte. Il avait renoncé.

Il but une gorgée de son vin doux. Elle semblait malheureuse. Son air avenant paraissait forcé. Se pourrait-il..? Il avala son verre d’un trait et le déposa. En découvrant avec qui elle était, il avait craint de s’être trompé à son sujet, de l’avoir idéalisée. Peut-être avait-elle seulement besoin de son secours. Cette pensée lui plaisait. Il redressa les épaules et se dirigea vers elle avec autant d’assurance que possible.

– Mademoiselle Gadelle, me feriez-vous l’honneur de cette danse?

Aimée poussa un discret soupir et lui sourit, reconnaissante.

– Ce serait avec plaisir. Monsieur?

Il lui saisit délicatement la main et la conduisit vers la piste de danse.

– Théo Gaudette. À votre service, mademoiselle.


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