Un soir de festival

La soirée était belle et chaude. Dans le ciel clair, les étoiles brillaient tels des joyaux sur un velours sombre. Une douce brise rafraîchissante diffusait les parfums des corps en sueur, de la fumée des torches, des relents du buffet et des boissons l’ayant remplacé. La musique, la danse et le vin doux faisaient tourner la tête de la jeune fille. Elle avait enfin quinze ans! Au moment du départ des petits, Alice et elle frétillaient d’excitation. Elles n’avaient pas à rentrer! Leur père irait reconduire leur mère, leurs frères et leurs sœurs avant de revenir les chaperonner. Elles pourraient continuer à faire la fête, à danser et à s’amuser et elles n’allaient pas s’en priver.

Marie pouffa discrètement dans sa main et s’enfonça dans la foule à la recherche de sa jumelle. Dans le tourbillon de ses cavaliers, elle l’avait perdue de vue depuis un petit moment. Où pouvait-elle bien être? Elle devait absolument la retrouver et lui raconter. C’était trop drôle! Ce faraud de Bastien Marris! Il l’avait invitée à danser. Il l’avait appelée par son prénom, sans hésitation. Il prétendait l’avoir facilement « reconnue ». Il n’avait eu de cesse de plaindre ces pauvres malheureux ne sachant les distinguer, entre deux déclarations d’affection éternelle pour sa sœur, sans se soucier de l’offusquer. Il n’avait pas tort. Alice était amusante et haute en couleur. Elle était la première à faire ses louanges. Tout de même, il aurait pu faire preuve d’un peu plus de considération et puis, il se surestimait. Lorsqu’ils se recroisèrent, « fortuitement », elle simula l’attitude de sa sœur. Un petit jeu dont elles étaient friandes. Comme elles s’étaient habillées et coiffées de manière identique, ce benêt s’y laissa prendre. Pas un instant, il ne douta de lui. Fier d’avoir « Alice » entre ses bras, il la courtisa, allant jusqu’à affirmer que sa fougue sublimait sa beauté bien plus que sa douceur à elle. Pathétique! Elle avait dû se retenir de lui rire au nez.

Ce fut dans la pénombre, un peu à l’écart des festivités, que la jeune fille découvrit sa jumelle. Elle était dans les bras d’Antonin Rochard. Ils s’embrassaient. Il la caressait. Surprise, Marie resta un moment figée à les observer. Elle ne la jugeait pas. Elle ne la jalousait pas. Même si elle-même n’aurait jamais osé faire cela. D’accord, elle avait badiné et fait les yeux doux. Elle avait fait preuve d’audace. Ce soir, elle avait eu l’impression d’être libre et aventureuse! Pourtant… elle était trop timorée pour aller jusque-là. Peut-être le regrettait-elle d’ailleurs… Elle s’imagina à sa place et… Et elle remarqua que le jeune homme devenait de plus en plus entreprenant. Sa jumelle finirait par avoir des ennuis s’il continuait!

– Alice! Enfin te voilà! Dépêche-toi, sinon, nous n’aurons pas le temps de faire cette plaisanterie! Tu n’as pas oublié, n’est-ce pas? Oh non! Dis-moi que tu n’as pas oublié! Tu m’avais promis! Nous allons bien nous amuser. Aller vient!

Tout en parlant, elle avait foncé sur elle, l’avait attrapée par le bras et tirée derrière elle, sans autre forme de procès. Stupéfait, Antonin trébucha. Il ne put rien dire, rien faire. Le temps pour les deux tourtereaux de reprendre leur esprit, ils étaient déjà loin l’un de l’autre. Comprenant dans quel embarras elle s’était mise, Alice rougit. Elle se mordilla la lèvre en regardant sa sœur, confuse. Elle ne savait que dire. Devait-elle la remercier, lui expliquer, se faire pardonner?

– Alors dis-moi… Il embrassait bien?

Elles éclatèrent de rire. Il serait toujours temps plus tard pour les remords. D’abord elles avaient l’une l’autre des choses à se raconter et encore de belles occasions de s’amuser.


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