Une longue nuit

Le crépitement du feu troublait les légers bruits nocturnes de la forêt. L’odeur de la fumée se mélangeait à celle de la terre humide et de la végétation. Un nuage passa paresseusement devant la lune. Le ciel était piqueté d’étoiles. Le regard d’Alice se perdait dans cet infini, les yeux brûlant d’avoir trop pleurer. Son cœur était pris dans un étau. Elle avait mal, si mal. Elle serrait contre elle ses bras, vide de ce petit être qu’elle avait porté, de cette petite fille qui avait grandi, envers et contre tout. Son enfant lui avait été enlevé, arraché. Elle n’avait pas réussi à la secourir. Elle l’avait perdue…

Un petit gémissement provint de l’autre côté du feu. Catherine dormait, blottie dans les bras de Paul, son « fiancé ». Elle l’avait appelé maman, pour la première fois. Jusqu’alors, ce n’avait été que par erreur. Chaque fois avait été douloureuse, bien qu’elle s’était efforcé de ne pas le lui montrer. Ce n’était pas tant parce qu’elle refusait ce qu’elle lui offrait. Non… Alice la comprenait. La jeune fille en avait le droit. Seulement, ça lui rappelait qui elle n’était pas et surtout, qui n’était pas là. Marie… Elle aurait été si fière de sa fille… non… de « leur » fille.

Se sentant observé, Paul leva la tête et la regarda.

– Pourquoi lui as-tu fait cela?

Devant son air d’incompréhension, elle poursuivit.

– Tu n’es pas niais. Tu ne pouvais ignorer mettre sa réputation en danger, en agissant comme tu l’as fait. T’en serais-tu moqué?

– Pourquoi les avais-tu autorisées à se balader en forêt?

– Ne détourne pas le sujet.

Ils se défièrent en silence quelques secondes puis, le jeune homme céda. Sur ses lèvres s’étira un léger sourire pensif.

– Je la revois… Elle était assise sur l’herbe, un de ses bras autour de ses genoux. De son autre main, elle dissimulait partiellement ses lèvres. Elle riait. Son visage, lumineux, était caressé par les chauds rayons du soleil. Elle avait fermé les yeux et elle riait. Elle était si belle. J’avais eu une folle envie de m’asseoir près d’elle et de lui demander ce qu’il y avait de si amusant. Je l’aurais trouvé drôle, même si ça ne devait pas l’être, juste pour être là et rire avec elle. Je ne pouvais pas. Je devais faire mon travail. Ça m’a déplu de l’effrayer. J’aurais voulu la réconforter. Au lieu de ça, je l’ai laissé partir. Je ne lui ai jamais menti. Je n’oserais pas, ce serait trop dangereux, j’aurais beaucoup trop à perdre. Mais, je ne lui ai pas tout dit. Elle m’avait fascinée, sur la grande place, lors de la visite des gitans. Après ce jour, dans les jardins, elle m’obsédait. J’aurais fait n’importe quoi pour la revoir…

Il ricana.

– Et je l’ai plus ou moins fait. Pour être présent au festival, j’ai fait tourner mon maître en bourrique. J’ai fait un gros caprice. Tout cela pour… tout gâcher… Elle était dans mes bras, je la voulais et…

Il grimaça.

– Ce n’est peut-être pas le genre de détails à raconter à une mère.

Elle répondit sèchement.

– Tu m’en diras tant! C’est bon, je vois le tableau. Il te donne au moins le mérite d’être franc.

– Je regrette comment j’ai agi ce soir-là et elle le sait. Catherine pardonne, mais n’oublie pas. Son défi m’amusait. Je me suis prêté au jeu. Je pensais… J’avais dans l’idée d’aller dès le lendemain cogner à votre porte et vous faire savoir mes intentions, honnêtes, de la courtiser. Quitte à devoir me battre pour vous convaincre. Cependant, je ne m’étais pas attendu à l’accueil que j’ai reçu. Moi qui n’avais pas compris comment elle m’avait échappé, pour une fois qu’une jeune fille comptait vraiment pour moi, voilà qu’elle me rejetait! Si je n’avais pas vu tous ces petits signes me laissant à penser que je lui plaisais, j’aurais peut-être abandonné… ou peut-être pas… J’ai eu du mal à l’approcher, à lui faire comprendre que je n’allais pas disparaître. Ensuite… eh bien… le temps avait passé et c’était plus délicat de vous rendre visite, pour elle bien plus que pour moi. Il aurait suffi d’un mot, un seul de sa part, et j’y serais allé. Elle n’est pas mon secret honteux, loin de là. Bien des fois, j’aurais eu envie de crier sur les toits mon bonheur d’être aimé d’elle. Tu veux me faire des reproches? Vas-y! Mais, je ne m’excuserai pas. Je l’aime plus que ma propre vie.

– Détends-toi, je ne vais pas te l’arracher… Elle m’en voudrait.

– Tu ne m’apprécies pas.

– Ça n’a pas d’importance. Je ne te connais pas. Les rumeurs ne sont pas toi. Puis, là, tout de suite, je me préoccupe davantage de la savoir en sécurité. Si tu peux la réconforter suffisamment pour qu’elle dorme, tu ne dois pas être si mal.

– Dès les premières lueurs de l’aube, nous partirons.

– Non.

– Viens avec nous. Je la porterai pour aller plus vite, sans la réveiller.

– Non!

– Alice! Sois raisonnable! Il faut partir d’ici! Ce lieu attire le malheur. Allons nous cacher à la cabane, ou mieux encore dans un autre village. Comprends-moi! Je veux la protéger.

– Moi aussi! La confiance doit être réciproque, Paul. Tu veux que je te croie, que je me fie à toi. Ne dis pas le contraire. Alors, fais de même. Écoute-moi quand je te dis que le meilleur endroit pour elle est ici. Nous restons, il n’y a pas à en discuter. Par contre, comme je l’ai déjà dit, toi, tu es libre de partir. Je ne l’espère pas. Amélia… Catherine a déjà trop de chagrin, inutile de lui briser le cœur.

– Je n’irai nulle part sans elle.

Le silence retomba. Berçant Catherine dans ses bras, Paul déposa sur front un doux baiser.


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