Nora (quatrième partie)

(Note de l’auteure : Les bonus sont des nouvelles que j’ai écrites après avoir terminé le tome auquel elles sont liées. Parfois, elles racontent des scènes que j’aurais aimé inclure dans le livre, mais je ne le pouvais pas. Parce que Catherine n’y était pas et qu’elle n’était pas nécessairement supposée le savoir. D’autres fois, elles jettent simplement un éclairage nouveau sur ce que l’on sait déjà. Dans tous les cas, ce dont elles parlent n’est plus censé être abordé dans les tomes suivants. Celle-ci fait exception. Pour des raisons chronologiques, il était bien que je l’écrive maintenant, mais elle contient des informations que Catherine n’apprendra pas avant un certain temps. À suivre…

Vous pouvez retrouver ici les première, seconde et troisième parties de cette nouvelle)

Les derniers rayons du soleil couchant jetaient un éclairage peu flatteur sur leur destination, une demeure miteuse, sise dans une ruelle nauséabonde. Sa façade de pierres et de bois était grossière et hideuse. Les quelques fleurs devant les fenêtres étaient misérables dans leur pot en grès.

Cette vision affligeait Nora. Quoique, objectivement, ce n’était pas si terrible. Ce n’était pas un taudis. L’habitation semblait être de taille respectable et bien entretenue, pour ce qui semblait être un quartier d’ouvriers honnêtes. Elle cherchait à s’en convaincre, sans grand succès. C’était si loin de tout ce qui avait fait sa vie jusqu’à présent. Elle angoissait. Ce matin, en se réveillant, accablée par l’insupportable absence dans son lit, elle n’aurait jamais pu imaginer qu’au soir elle n’aurait plus rien. Qu’elle aurait renoncé à tout, tout abandonné. Que son seul avenir serait dans cette maison…

Elle était épuisée. Elle avait peur. Elle doutait. Elle voyait tout en noir… Deux bras l’enlacèrent et la serrèrent très fort.

– Il est là… Il sera heureux de vous voir, tu verras.

– Puisses-tu dire vrai.

Ysbelle lui caressa la joue et lui sourit tendrement. Ce n’était pas une promesse creuse. La reine Sélène avait fait appel à une voyante. Elle avait voulu connaître l’accueil que recevrait sa prêtresse avant de lui offrir de s’exiler. Au-delà de ces quelques minutes, il n’y avait aucune certitude. Mais au moins avait-elle l’assurance que son conjoint serait présent pour elle.

– Le moment est venu de nous dire adieu. Une fois que vous aurez quitté le bouclier et la zone d’invisibilité, vous ne nous verrez plus, mais je vais attendre que vous soyez rentrés avant de nous ramener. Alors, s’il y a que ce soit…

– Ne pouvons-nous pas seulement nous dire au revoir?

Ysbelle secoua la tête.

– Tu vas me manquer. J’aimerais tant revenir, ne serait-ce que pour être certaine que tout va bien pour toi, mais… D’ici quelques jours, je ne serai plus rien.

– Comme moi…

– Oh Nora! Ne dis pas cela! Toute ta vie, tu m’as enviée, je le sais bien! Aujourd’hui c’est à mon tour.

– Je ne vois pas pourquoi.

– Nos dons sont le reflet de ce que nous sommes au plus profond de notre être. J’ai besoin de bouger, d’action. Je brûle au fond de moi.

Elle leva la main et fit naître au creux de sa paume une flamme avec laquelle elle joua avant de l’éteindre.

– Je ne sais pas comment je vais faire…

Comment elle allait faire quoi? Nora la dévisagea et soudain écarquilla les yeux. Elle avait compris.

– Tu aurais préféré aller te battre et mourir sur le front?

– Si cela avait pu sauver des vies plutôt que d’en condamner? Cent fois oui! Cela aurait été mieux que d’affronter ce qui m’attend. Nous allons être envahis. Je vais assister à des injustices. Je vais voir des gens dans le besoin. Et je serai impuissante. Je ne serai plus qu’une pauvre femme ordinaire, incapable de les aider, incapable de me préserver moi-même. Je n’ai de cesse d’y penser et j’enrage… Quand je ne désespère pas…

– Je connais cela…

– Non…

Ysbelle prit son visage entre ses mains et plongea son regard dans le sien.

– Là où je suis le feu, toi tu es le calme paisible de l’eau.

– Le murmure du vent…

– Si tu veux. Tu es la douceur, la patience et l’empathie. À ta manière, cela te rend très forte petite sœur. Tu n’as jamais voulu le comprendre. Tu t’es laissée aveugler par ce que tu n’avais pas. Qui sait, peut-être fais-je de même en ce moment. Parce qu’à mon sens, grâce à tes qualités, tu seras mieux armée que moi pour t’adapter à ce nouveau monde.

– Cherches-tu à me réconforter?

– Je ne fais qu’exprimer le fond de ma pensée.

Avec une douce caresse, elle la relâcha.

– J’ai un présent pour toi.

Elle prit un petit sachet à sa ceinture et le tendit à Nora. Celle-ci l’ouvrit et découvrit à l’intérieur un pendentif en forme de fleur suspendu à une délicate chaîne en or.

– Un lys des neiges…

– Tu les as toujours aimés.

– Car lorsqu’ils fleurissent, c’est la promesse que le printemps arrivera sous peu.

– C’est aussi ce à quoi j’ai pensé. Je trouvais la symbolique appropriée. Je l’ai fait faire par Drìsaine. Elle est très douée. Et regarde, je lui ai demandé d’ajouter un petit quelque chose. Vois-tu cette minuscule rainure? Insère ton ongle juste là.

Nora suivit ses instructions. Le mécanisme était très discret et facile à activer pour ceux sachant le trouver. Tant qu’elle appuya sur ce point précis, du cœur de la fleur s’illumina l’emblème de la lignée royale d’Oealys.

– Je sais, Nora, que tu conserveras en toi la même lumière, l’espoir.

– Y en a-t-il encore?

– Oui… L’Héritière!

– Qui ne viendra pas avant que nos cendres ne soient emportées par le temps et oubliées. Qu’y puis-je!?

– C’est la seconde partie de mon cadeau, le secret le mieux gardé de l’Oealys.

– Il doit être très ennuyeux.

Entre les différents dons des prêtresses, il était très difficile de cacher quoique ce fût. Tout ce qui avait un tant soit peu d’intérêt était rapidement révélé.

– Tu vas être surprise. Il était réservé aux reines, à leur chœur unifié et à leur garde rapprochée. J’en ai été informée lorsque j’ai rejoint l’entourage de Simaël. La voyante chargée de la sécurité de la famille royale avait aussi la tâche de s’assurer que toutes celles qui l’auraient appris par leur propre moyen se tairaient.

– Je ne comprends pas. Pourquoi m’en parles-tu dans ce cas? Comment peux-tu le faire?!

– Parce qu’il te concerne. Il faut que tu le saches, le potentiel d’être une prêtresse est en nous et nous le transmettons à nos descendants.

Nora ricana et leva les yeux au ciel.

– Je ne l’aurais jamais deviné! Voyons, tu ne m’apprends rien. Notre mère, nos filles… Notre enfance… Je ne suis pas sotte.

– Non, tu ne saisis pas. Les Pieuses n’accèdent pas à l’initiation par hasard. Officiellement, nous testons leur foi et leur volonté. Officieusement, il y a toujours parmi les prêtresses qui les évaluent une qui sache voir leur ascendance. À l’exception de circonstances particulières, elles provenaient toutes, depuis des siècles, de la lignée brisée de l’une d’entre nous.

Ysbelle tourna son regard vers ses neveux.

– Des descendantes d’une lignée mâle?

– Il est extrême rare qu’une novice refuse de passer sous le regard de la Déesse. C’est une lâcheté très mal vue qui revient à se condamner à une vie de paria. Oui, les filles de nos fils peuvent également avoir cela en elles.

– C’est énorme! Pourquoi l’avoir caché?! Réalises-tu ce que nous aurions pu faire si nous avions été plus nombreuses? Nous aurions pu… sauver notre monde!

– Pas sans exterminer le peuple des hommes, ils ne renonceront jamais. Et pas sans créer d’abord une hécatombe. Ne crois-tu pas que nous l’avons envisagé? La transmission par les hommes est aléatoire. La fille de Danis pourrait ou non en être porteuse. Chaque génération mâle qui sépare la prêtresse de sa descendante augmente ses risques de mourir. Le taux de mortalité des Pieuses est plus faible que celui de celles qui n’auraient pas cet atout, mais tu sais aussi bien que moi qu’il n’est pas négligeable. Si ce secret avait été connu, il aurait attiré beaucoup trop d’inconscientes qui seraient venues périr sur l’autel de leur ambition. En le dissimulant, la porte ne restait ouverte que pour celles ayant la vocation.

– Je comprends… Et donc… Une ligne brisée purement féminine…

Nora n’osait terminer sa phrase.

– Demeurerait intacte, oui. Tu es unique. Après avoir renoncé à nos dons, nous allons disparaître, nous fondre dans la masse. D’une part, pour éviter d’être victime de répression ou que nos proches le soient. D’une autre, pour qu’on ne puisse nous forcer à dévoiler où sera cachée la reine. Tu ne pourras pas faire de même. C’est de notoriété publique que Mikas a épousé une prêtresse. Ton statut particulier devrait te protéger. Si ça ne suffit pas, rends-toi utile, dire leur tout ce qu’ils voudront savoir.

– Je ne vais pas trahir!

– Tu ne le pourras pas. Nous t’avons fait partir avant de mettre en place toutes ces mesures dont tu ne sais rien. Cela n’aura plus d’importance. Tes paroles ne pourront plus nous nuire. Ta priorité sera de prendre soin de toi. Ne pense plus qu’à toi et à tes enfants. C’est une opportunité dont tu devras te servir. Toi seule pourras enseigner à tes filles et à tes petites-filles ce que je viens de t’apprendre. Toi seule seras libre de partager avec elles ton passé et de préserver le souvenir de notre héritage, pendant que nous nous ferons oublier. Comprends-tu? Jamais mes petites-filles ne sauront qui j’étais, ce dont j’étais capable. La seule version de l’Oealys qu’elles auront sera celle de nos envahisseurs.

– L’espoir d’une nouvelle chance… C’était à prendre au sens littéral..?

– Pour toi, oui, il peut l’être. Pour nous, il relève de la foi. Les temps à venir nous échappent. Quand adviendra le jour où l’Héritière royale boira à la source, si tel est le bon vouloir de la Déesse, elle guidera nos lignées pour qu’elles reprennent leur place au Sanctuaire. Nous prierons pour cela. Toi, tu peux faire en sorte que ton héritière aille réclamer son droit par le sang. Voilà le présent que je te fais, ma chère sœur. Ce lys sera un souvenir et une preuve pour combattre les doutes quand la mémoire faiblira à travers les âges et ainsi te permettre de réaliser ton plus grand vœu.

À dix-sept ans, Nora n’avait pas envisagé que sa foi puisse être mise en doute, qu’elle pût être rejetée. Si ce n’avait été que d’elle, elle aurait hésité à être initiée simplement parce que ses dons ne lui semblaient pas en valoir la peine. Toutefois, cela s’était présenté comme une évidence pour les filles qu’elle aurait, pour sa descendance, pour ne pas leur dénier leur droit de servir le peuple en tant que prêtresses. Pour ne pas briser la lignée de manière irréparable. Ysbelle la connaissait trop bien pour l’avoir ignoré. Elle savait l’importance que cela revêtait pour elle et lui avait rendu cette part d’elle-même qu’elle avait tuée quelques heures plus tôt. Elle avait allumé un brasier d’espoir brûlant en elle, lui avait donné un but.

La maison ne semblait plus si miteuse. Elle paraissait même presque jolie quand Mikas apparut dans l’encadrement de la porte et qu’au comble de la joie, il ouvrit les bras pour accueillir sa famille.

À suivre…


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