La douce lumière du jour naissant filtrait entre les rideaux d’un tissu léger, soyeux et opaque. Nora ouvrit les yeux sur le visage de l’homme dormant à ses côtés. Après toutes années, elle ne se lassait pas de détailler ses traits, de s’émerveiller qu’il fût là. Lui aurait-on dit, à son arrivée près de vingt plus tôt, elle n’y aurait pas cru.
Mikas était l’un des cinq cent, l’un de ces barbares venus du peuple des hommes. À titre d’aspirante, elle avait été conviée à assister à leur cérémonie d’accueil. Ils étaient si arrogants, tous! De vulgaires et répugnants bestiaux, voilà l’opinion qu’elle avait eue d’eux ce jour-là et elle s’était bien promis de se tenir loin des quatre maisons communes qui avaient été construites à leur intention. Si son histoire avait été l’une de ces balades d’amour chanté au coin du feu lors des longues soirées d’hiver, il aurait été différent des autres. Leurs regards se seraient croisés et ils seraient tombés immédiatement amoureux, mais non. Il n’était qu’un parmi les autres et comme pour tous les autres, le temps fit son œuvre.
Aux cours des mois, ils s’adaptèrent, changèrent et devinrent moins indigestes. Les rencontres furent plus fréquentes, ils furent mieux accueillis. Nora croisait parfois Mikas par hasard, puis le hasard eut de moins en moins sa place. Après une fête, dans un refuge isolé, ils s’aimèrent sous les étoiles. Pour elle, tout était parfait ainsi, pour lui, cela devint compliqué.
À intervalle régulier, il retournait dans son pays voir sa famille. Ceux-ci, depuis son vingtième anniversaire lui cherchaient une femme. La jeune femme qu’elle était alors ne comprenait pas, il l’avait, elle! Il ne savait comme le lui expliquer. Il n’osait user des mots nécessaires pour le lui faire comprendre. Lui faire comprendre comment elle serait perçue, bien malgré lui, au sein de son peuple. Il n’y avait pas d’équivalent en oealyssien pour maîtresse ou putain. Lors mode de vie et leur culture n’incluaient pas ces concepts. Il dut pourtant s’y résoudre en trouvant chez ses parents une « épouse » attendant sagement de consommer avec lui son union. Ses parents l’avaient marié par procuration sans même son consentement. Il réagit de la meilleure manière possible : il mentit. Nora l’attendait. Elle portait dans son sein son enfant. Il ne les abandonnerait, ni ne les trahirait pour une étrangère. Il prétendit donc s’être déjà uni. Le terme avait été choisi avec soin pour créer la confusion. À son retour, Nora et lui s’unirent en effet devant la Déesse, mais jamais il n’expliqua à ses parents la différence entre ce serment et un mariage devant les Dieux.
C’était il y avait seize ans. Par la suite, il avait emménagé dans cette maison avec elle. Leur fille était née, avait grandi et depuis quelques mois résidait au Sanctuaire pour sa formation. La voir partir avait été un cauchemar pour Mikas. S’il avait appris à respecter sa liberté et ses choix, à ne pas chercher à la contrôler, l’éducation avait la vie dure. Voir sa petite fille voler de ses propres ailes le remplissait de fierté et de terreur. Il aurait voulu la garder près lui, veiller sur elle et la protéger de tout et de tous et peu importait qu’elle fût plus à même que lui de se défendre!
Une porte claqua dans la maison. Mikas tressaillit. Nora souffla doucement sur son visage et il se rendormit plus profondément. La Déesse lui avait fait là un don bien utile. En particulier dans une maison où, peut-être justement par ce qu’elle avait ce don, personne n’avait jugé bon d’apprendre les biens faits du silence. Le futur arming rentrait peu avant l’aurore, il avait besoin de se reposer et non d’être dérangé par les cris de leurs enfants.
Il avait pris son jouet. Il lui avait tiré les cheveux. Sa leçon avait été dévorée par sa faute. Il l’avait poussé. Suivit de l’inévitable :
– MAMAN!!!!!!!!
Nora sourit et s’extirpa de la chaleur de ses draps. Elle se coiffa rapidement et enfila sa robe blanche avant d’aller rejoindre la marmaille se chamaillant. Son fils aîné, du haut de ses dix ans, se jeta sur elle en pointant sa sœur de treize ans.
– Une souris à manger ma leçon!
– Je n’y suis pour rien!
Elle leur lança à tous deux un regard sévère.
– Ce doit certainement être une erreur. Sinon, Lexia serait sérieusement punie et elle le sait.
La jeune fille déglutit.
– Danis, ton frère, toi et ta sœur, allez-vous habiller. Nous allons être en retard. Mélisse, si tu leur permets d’écouter aux portes, tu seras punie, je te préviens.
La fillette prit un air boudeur. De toutes évidences, elle avait justement prévu de le faire.
Demeurée en tête-à-tête avec sa seconde fille, Nora prit place à la table avec elle.
– Je t’écoute.
– C’était un accident…
– Je ne te crois pas.
Et voilà, c’était reparti. Elles avaient eu cette conversation un bon millier de fois déjà. Elles s’affronteraient, Lexia finirait par reconnaître sa faute et soit elle fuirait pour bouder avant de revenir demander pardon, soit elle s’excuserait tout de suite. Et cela recommencerait jusqu’à ce qu’elle avouât enfin le vrai problème. La discussion se déroula d’abord sans surprise.
– Ce n’est pas juste!
Ça c’était nouveau.
– Quoi donc?
– Je suis aussi forte qu’Adia. J’aurais dû moi aussi y aller.
– Tu y iras, le moment venu. La Déesse nous apprend à savourer chaque moment de la vie. L’aurais-tu oublié? Tu devras pourtant un jour l’enseigner. Profite de ton enfance, il ne reviendra pas.
– Je ne suis plus une enfant!
Sa mère la fixa sans dire un mot.
– Elle me manque…
Enfin… Les deux sœurs avaient été inséparables. Leur séparation, là était le véritable souci.
– Tu lui manques certainement aussi, mais tu ne l’as pas perdue.
– Elle ne reviendra plus…
– Non… Quand elle aura terminé au Sanctuaire, elle aura sa chambre dans une maison commune, c’est vrai. Et alors? Tu pourras tout de même la voir. Ce sera toujours ta sœur. Et toi aussi, tu suivras le même chemin. Peut-être seras-tu dans la même maison.
– Ce ne sera plus jamais pareil…
Nora n’eut pas le temps de lui répondre. Quelqu’un cogna à la porte. En ouvrant, elle découvrit un messager du Sanctuaire. Un messager? Ici? Si tôt? Elle fut prise d’un mauvais pressentiment.
– La princesse Sélène demande à vous voir dans le salon royal dès qu’il vous sera possible.
À suivre…
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