Nora (quatrième partie)

(Note de l’auteure : Les bonus sont des nouvelles que j’ai écrites après avoir terminé le tome auquel elles sont liées. Parfois, elles racontent des scènes que j’aurais aimé inclure dans le livre, mais je ne le pouvais pas. Parce que Catherine n’y était pas et qu’elle n’était pas nécessairement supposée le savoir. D’autres fois, elles jettent simplement un éclairage nouveau sur ce que l’on sait déjà. Dans tous les cas, ce dont elles parlent n’est plus censé être abordé dans les tomes suivants. Celle-ci fait exception. Pour des raisons chronologiques, il était bien que je l’écrive maintenant, mais elle contient des informations que Catherine n’apprendra pas avant un certain temps. À suivre…

Vous pouvez retrouver ici les première, seconde et troisième parties de cette nouvelle)

Les derniers rayons du soleil couchant jetaient un éclairage peu flatteur sur leur destination, une demeure miteuse, sise dans une ruelle nauséabonde. Sa façade de pierres et de bois était grossière et hideuse. Les quelques fleurs devant les fenêtres étaient misérables dans leur pot en grès.

Cette vision affligeait Nora. Quoique, objectivement, ce n’était pas si terrible. Ce n’était pas un taudis. L’habitation semblait être de taille respectable et bien entretenue, pour ce qui semblait être un quartier d’ouvriers honnêtes. Elle cherchait à s’en convaincre, sans grand succès. C’était si loin de tout ce qui avait fait sa vie jusqu’à présent. Elle angoissait. Ce matin, en se réveillant, accablée par l’insupportable absence dans son lit, elle n’aurait jamais pu imaginer qu’au soir elle n’aurait plus rien. Qu’elle aurait renoncé à tout, tout abandonné. Que son seul avenir serait dans cette maison…

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Retour au bercail

Il était rentré, des projets et des rêves plein la tête. Ils ne ressemblaient plus tout à fait à ce qu’ils étaient lorsqu’il était parti. Et alors? Paul était heureux en franchissant le seuil de la maison de ses parents. Il avait hâte de leur parler, de leur annoncer sa décision.

– Maman? Papa?

Aucune réponse. À cette heure de la journée, son père était susceptible de s’être absenté pour affaire. Sa mère, toutefois, était plus rarement absente. Il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Il irait déposer son sac dans sa chambre, puis il se mettrait à leur recherche. À peine sorti du hall, il croisa l’une des domestiques.

– Monsieur Paul! Vous êtes enfin rentré!

– À l’instant! Mes parents sont-ils là?

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En attendant le printemps

Ironique en cette saison, les journées paraissaient longues et interminables à Paul. Il n’y avait plus de travail dans les jardins. De retour chez son maître, il l’assistait. Il apprenait aux plus jeunes apprentis les rudiments de base, la théorie et l’art de faire semis et boutures dans une serre chauffée. Trop souvent, il s’asseyait à la fenêtre et regardait les flocons de neige tomber, tel les grains d’un sablier géant mesurant le temps. Continuer la lecture de « En attendant le printemps »

Le mariage de l’intendant

L’événement était d’importance. Le village entier avait été convié à la cérémonie. Les places assises étaient insuffisantes. Nombre de personnes se tenaient debout à l’arrière ou le long des murs. Tous regardaient dans la même direction. Ils contemplaient la jeune fiancée remontant l’allée au bras de son père, radieuse. Un seul homme se distinguait. Celui-là même vers qui elle se dirigeait. Ses yeux à lui fixaient une autre jeune femme à la chevelure d’un blond doré, perdue au milieu de la foule, Marie. Continuer la lecture de « Le mariage de l’intendant »

Un refuge pour l’hiver

Au cours des derniers jours, des touches de rouge, d’orange et d’ocre avaient commencé à tacheter les vertes frondaisons. Un avertissement que démentait l’agréable tiédeur des journées. Paul avait vu une petite lueur s’éteindre dans le regard de Catherine, son cœur se briser, en suivant des yeux la lente chute d’une feuille vers le sol. Le sien s’était serré en écho. Leur temps était compté. L’hiver cruel et menaçant arriverait bientôt pour les séparer. Continuer la lecture de « Un refuge pour l’hiver »

Une longue nuit

Le crépitement du feu troublait les légers bruits nocturnes de la forêt. L’odeur de la fumée se mélangeait à celle de la terre humide et de la végétation. Un nuage passa paresseusement devant la lune. Le ciel était piqueté d’étoiles. Le regard d’Alice se perdait dans cet infini, les yeux brûlant d’avoir trop pleurer. Son cœur était pris dans un étau. Elle avait mal, si mal. Elle serrait contre elle ses bras, vide de ce petit être qu’elle avait porté, de cette petite fille qui avait grandi, envers et contre tout. Son enfant lui avait été enlevé, arraché. Elle n’avait pas réussi à la secourir. Elle l’avait perdue… Continuer la lecture de « Une longue nuit »

Annoncer son arrivée…

En franchissant les derniers mètres la séparant de la demeure de sa sœur, Alice eut un soupir d’appréhension. S’il y avait un sujet pour lequel Désirée n’était pas constante, c’était bien celui qui l’amenait ici, en ce jour. Au cours des dernières années, sa cadette avait démontré de meilleurs sentiments. Elle priait pour que ce fût toujours le cas. Elle ne pouvait pas reculer, ni repousser l’échéance. Elle avait attendu quatre jours, se servant de la santé d’Amélia comme excuse. Elle ne pouvait plus. Ses frères et sœurs seraient furieux contre elle, s’ils devaient apprendre la nouvelle via les ragots d’une commère. Elle commençait par le plus facile. Si Désirée devait mal le prendre, elle n’osait imaginer ce qu’en dirait Bertrand. Elle cogna à la porte, d’où jaillissaient des pleurs et les cris. Après une minute ou deux, une jeune femme lui ouvrit. Dans ses bras, se tordait et gigotait la responsable des hurlements. Continuer la lecture de « Annoncer son arrivée… »

Prise de conscience

C’était une jolie dentelle, d’une blancheur immaculée. Ses motifs délicats et élégants avaient été conçus avec un fil très doux. Elle aurait fait merveille sur sa robe prune. Elle lui aurait presque fait oublier qu’elle n’avait pas été confectionnée dans du taffetas, du velours ou de la soie. Avec regret, Corine reposa le colifichet sur l’étal et s’éloigna.

Venir au marché avait été une mauvaise idée. Elle avait espéré s’y changer les idées, se soustraire quelques heures à la tension insoutenable régnant à la maison. Elle n’avait pas considéré l’effet que cela lui ferait d’y être en étant démunie. Elle n’avait plus rien, plus une seule petite piécette. Jusqu’à tout récemment, l’argent dédié aux dépenses du foyer avait été dissimulé dans le recoin d’une armoire, à l’intérieur un petit pot fermé. Elle s’y était servie allègrement, sans aucun état d’âme. C’était tout juste si, lorsqu’elle faisait des achats qu’elle jugeait légèrement excessifs, elle s’en confessait à Thomas. À quelques reprises, il l’avait grondé, dont une ou deux fois plus sérieusement. C’était terminé. Une des premières actions d’Aimée avait été de déplacer le pécule. Elle avait tenté de s’en plaindre, subtilement. Elle avait demandé « en toute innocence » où il était, feignant de s’inquiéter qu’il eut été dérobé. La réponse était tombée comme un couperet. Sa belle-sœur l’avait rangé dans un endroit où elle pourrait mieux le gérer. Personne n’avait rien trouvé à redire. Après tout, elle seule faisait les emplettes pour la maisonnée, alors que Corine n’achetait jamais que pour elle-même. Elle soupira. Continuer la lecture de « Prise de conscience »

Le retour d’Aimée

Aimée raffermit la prise sur sac et prit une grande inspiration. Elle y était presque. Elle se cuirassa, se préparant à affronter le grand vide laissé par les absentes… et la présence d’une autre. Elle pouvait y arriver. Elle pouvait le faire. Elle n’était plus une enfant. Elle saurait se montrer digne de sa grande sœur. Elle avança d’un bon pas, qui devint encore plus rapide lorsque lui parvinrent des pleurs et des cris. Continuer la lecture de « Le retour d’Aimée »

Action préventive

Mirabelle Bastarache n’aurait pu espérer mieux. Cet après-midi de juillet était particulièrement beau et chaud, avec juste une petite brise rafraîchissant ses convives. Pour tromper son ennui, elle organisait régulièrement de ces petites réceptions. Elle faisait installer le large auvent dans le jardin. Dans son ombre, elle supervisait la disposition judicieuse de chaises et guéridons, où elle faisait ensuite servir le thé et quelques douceurs. Par contre, elle n’invitait pas toujours sa jeune sœur, et pour cause… Le doux chant des oiseaux, le murmure du vent dans les arbres et la musique des voix joyeuses discutant furent perturbés par les hurlements de sa nièce d’un an et demi. Mais qui, par tous les Dieux, pourraient avoir l’idée d’amener un bébé à un thé mondain! Dissimulant un sourire dédaigneux derrière sa tasse, elle jeta un regard torve à sa benjamine. Continuer la lecture de « Action préventive »