Assise sur le banc, près de l’entrée de la maison, la fillette battait tristement des pieds. C’était un bel après-midi. Le ciel était bleu et clair. Le soleil brillait. La température était douce. Amélia aurait aimé pouvoir en profiter. Elle avait tant espéré… Ces derniers jours, elle avait été malade et, fiévreuse, avait dû s’aliter. Une promesse d’Aimée lui avait permis de garder le sourire malgré l’épreuve. Dès qu’elle serait remise, elles iraient ensemble au pré, non loin, et elle lui apprendrait à tresser des fleurs pour en faire une parure. Ce matin encore, elle la lui faisait miroiter. Mais voilà, à peine le déjeuner avait-il été avalé qu’une amie frappait à la porte et l’invitait à venir s’amuser avec elle. Aimée était partie, sans un regard en arrière. Ce n’était pas grave. Les fleurs seraient toujours là demain. Non… Ce n’était pas si grave… Amélia avait l’habitude d’être seule. Elle se ferait une raison. Elle soupira. Le pré était si près… Juste assez pour la narguer. Seule, elle ne pouvait y aller.
Hector Gadelle sortit de la grange tenant sa bêche fraîchement affûtée. Son regard se posa sur sa petite-fille, chagrine et abandonnée. Il savait que s’il allait la voir, elle lui sourirait malgré tout. Comme si rien ne l’attristait, comme si elle n’avait aucune peine. Pauvre petite… Sa fille avait mal agi. Pourtant, ni lui, ni sa sœur aînée, ne lui ferait de remontrance. Le mariage de Thomas avait bouleversé leur paisible existence, malheureusement pas en bien. Un an après Bertrand, Désirée avait tout récemment convolé en juste noce à son tour. La maison était bien vide depuis et la vie d’Aimée n’en était pas facilitée. Il la protégeait au mieux, mais ne pouvait être toujours là. Comment lui reprocher de vouloir s’éloigner un peu d’une atmosphère lourde et empoisonnée? Il ne pouvait exiger qu’elle sacrifia sa jeunesse au profit d’une nièce souffrante, aussi adorable fut-elle. Il hésita un instant, puis retourna ranger son outil dans la grande. Son fils pouvait se débrouiller deux heures sans lui.
Elle avait baissé le regard pour fuir la tentation. Elle fixait ses mains croisées sur genoux. Une autre, plus grande, plus forte, abîmée par des années de travail, entra dans son champ de vision. Elle y posa une des siennes, si petite et fragile en comparaison, et leva des yeux intrigués vers son grand-père. Sans un mot, il la fit se lever et la prit dans ses bras. Tout en marchant et en s’éloignant de la maison, il la fit glisser pour l’installer confortablement dans son dos. Elle s’appuya contre lui, les bras autour de son cou, sa joue posée sur son épaule. Elle ne posa pas de questions. Ce n’était pas nécessaire. Un léger sourire flottait sur ses lèvres. Si elle n’avait autant apprécié de voir son horizon s’élargir, elle aurait fermé les yeux pour mieux savourer cette présence silencieuse et réconfortante.
Il marcha un long moment en lisière de la forêt avant d’y pénétrer. Il n’hésita pas, se faufilant dans des sentiers à peine visibles. Ce ne fut qu’après avoir pénétré dans une magnifique petite clairière qu’il déposa Amélia. Il la prit alors par la main et la guida vers un tronc d’arbre, couché au sol, où il s’assit avec elle. La fillette regardait tout autour d’elle, béate et émerveillée.
– Ta grand-mère m’avait fait découvrir cet endroit. Elle disait qu’il était impossible d’être triste ici. Ce sera notre secret.
L’histoire était légèrement plus compliquée. Ce jour-là, Claire lui avait demandé de la suivre. C’était les premiers mots qu’elle lui adressait en deux mois, depuis qu’il avait fait sortir Victoria de sa vie. Il était si heureux de l’entendre qu’il l’aurait fait n’importe quoi pour elle. Elle l’avait conduit ici et, oui, elle lui avait dit que cet endroit était trop merveilleux pour y avoir du chagrin. Lui y avait trouvé de l’espoir, celui qu’elle lui pardonnerait. Il aurait dû comprendre que ça ne suffirait pas. Il avait obtenu son pardon, mais ne s’était pas absous lui-même. Il porterait à jamais le fardeau de sa faute. Cependant, cette clairière était chère à son cœur. Ici, il l’avait vu retrouver le sourire. Aujourd’hui, il y regardait renaître celui de sa petite-fille.
Elle hocha la tête, heureuse et fière de partager cela avec lui.
– Est-ce qu’il est magique?
– Peut-être…
Il la serra dans ses bras. Puis, avec regret de devoir écourter ce moment, déposa un baiser sur son front. Il ne pouvait s’attarder, trop de travail l’attendait. Néanmoins, il ne put résister et autorisa Amélia à prendre quelques minutes pour cueillir un petit bouquet de fleurs, en souvenir. Sa joie retrouvée lui faisant tant plaisir.
Sur le chemin du retour, la fillette observa autour d’elle, très attentive. Elle se fit la promesse qu’un jour, elle reviendrait.
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