Mirabelle Bastarache n’aurait pu espérer mieux. Cet après-midi de juillet était particulièrement beau et chaud, avec juste une petite brise rafraîchissant ses convives. Pour tromper son ennui, elle organisait régulièrement de ces petites réceptions. Elle faisait installer le large auvent dans le jardin. Dans son ombre, elle supervisait la disposition judicieuse de chaises et guéridons, où elle faisait ensuite servir le thé et quelques douceurs. Par contre, elle n’invitait pas toujours sa jeune sœur, et pour cause… Le doux chant des oiseaux, le murmure du vent dans les arbres et la musique des voix joyeuses discutant furent perturbés par les hurlements de sa nièce d’un an et demi. Mais qui, par tous les Dieux, pourraient avoir l’idée d’amener un bébé à un thé mondain! Dissimulant un sourire dédaigneux derrière sa tasse, elle jeta un regard torve à sa benjamine.
Corine l’ignora. Elle fit mine de ne rien entendre et d’être parfaitement à l’aise, alors qu’à l’intérieur, elle bouillait de rage et d’humiliation. Qu’aurait-elle pu faire? Alice n’avait fait preuve d’aucune coopération. Elle avait décrété ne pas avoir le temps de s’occuper de Béatrice. À près de cinq ans, Emma pouvait suivre ses frères pour jouer dans les champs, mais pas la plus petite. Eut-elle osé effleurer l’idée que Thomas l’aurait regardé comme si elle avait perdu la tête. Et cette misérable petite bâtarde… Si elle avait horreur de voir Catherine tourner autour de ses enfants, il y avait tout de même des fois où nécessité faisait loi! Qu’avait-elle besoin de sortir, celle-là! Elle aurait eu mieux fait de se rendre utile! Faute de solution, elle avait dû amener sa fille et la confier à la nourrice de sa sœur, rappelant à toutes qu’elle, en l’occurrence, n’en avait pas!
L’enfant fini par se taire et la mère poussa un discret soupir de soulagement. Pour éviter les commentaires compatissants, réels ou méprisants, elle ramena la discussion sur le dernier potin à propos de la supposée maîtresse d’un homme bien en vue.
– Madame? Madame Duprond est arrivée.
La domestique s’inclina en cédant le passage à la visiteuse. Mirabelle se hâta d’aller l’accueillir.
– Ma chère Clothilde! Nous ne vous attendions plus! Venez vite vous asseoir. Roseline, apporte une tasse de thé pour madame Duprond.
– Tout de suite, madame.
Après une embrassade affectée, Mirabelle conduisit son amie vers la dernière place vacante.
– Lorsque vous connaîtrez la raison de mon retard, vous me pardonnerez sans aucun doute, ma chère!
Elle prit la tasse des mains de la domestique, sans daigner la remercier.
– Vous n’avez eu aucun souci, j’espère?
Clothilde balaya son inquiétude d’un geste négligent.
– En aucun cas! Par contre, nous aurons prochainement droit à quelques histoires croustillantes.
Elle but une gorgée, les faisant languir à loisir.
– Une escouade inquisitoriale a franchi les portes de la ville, ce midi!
Toutes s’exclamèrent, à la fois scandalisées, comment imaginer qu’il pourrait y avoir des sorcières dans leur ville, et réjouies, un peu d’animation était toujours plaisant. Pour sa part, Mérédith jeta un regard curieux en direction de Corine, avant de le reporter vers leur sœur aînée. Elle fronça les sourcils puis, un même léger sourire mauvais étira leurs lèvres.
– Ma pauvre Corine!
Croyant à une autre allusion sur sa bévue maternelle, la jeune femme offrit à Mérédith un rictus las.
– Tu nous manqueras, très chère sœur.
Qui devint une grimace indécise en réponse à Mirabelle. Celle-ci vida sa tasse et la déposa délicatement.
– Faire un mauvais mariage est une chose. Devoir en subir les inconvénients, une autre. Mais nous aurions au moins pu espérer qu’il ne te conduirait pas sur le bûcher. Quelle déception…
– Mais de quoi parlez-vous?
– Elle ne t’a jamais écouté, Mirabelle. Ce n’est pas aujourd’hui que cela changera! Pauvre petite sotte, tu héberges sous ton toit une sorcière. C’est de notoriété publique. Que crois-tu qu’il t’arrivera si l’Inquisition examine de trop près ton foyer. Tu seras accusée de complicité, peut-être même d’avoir toi-même fait usage de sorcellerie!
– C’est ridicule! Je suis une bonne croyante, cela se sait!
Au cours de la demi-heure suivante, les commentaires fusèrent, alimentant l’hypothèse des deux sœurs. Une peur atroce avait germé en Corine. Le retour des pleurs et des cris de Béatrice réclamant Alice, l’irritait et l’empêchait de réfléchir. Au final, prise de terreur, elle prétexta avoir oublié une course urgente pour s’absenter. Nul ne fut dupe et l’on ricana dans son dos, sitôt eut-elle franchi la porte.
Trouver où s’était arrêtée l’Inquisition ne fut pas difficile. Rencontrer quelqu’un pour lui faire part de ses accusations fut tout aussi facile. En s’éloignant, elle avait le cœur plus léger. Ils n’oublieraient pas. Ils tiendraient compte de sa collaboration et quoiqu’il puisse être dit sur Catherine et sa mère, dorénavant, ça ne l’attendrait plus. Elle fit une halte au marché pour sauver les apparences. Elle y croisa sa belle-sœur. Cette idiote s’était tant attachée à la fille qu’elle ne comprendrait pas qu’elle venait toutes de les sauver. Pourtant, avec le temps, elle verrait bien! Ce fut avec un grand sourire réjouie qu’elle annonça son méfait à Alice. De toute façon, elle ne pourrait plus rien y faire, il était trop tard. Les inquisiteurs étaient déjà en route pour appréhender cette peste de Catherine!
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