Les Dieux avaient entendu sa prière. Son père était à la maison. Lorsque la servante le lui avait confirmé, Paul s’était retenu de l’embrasser. C’était d’ailleurs préférable. Le précédent aurait été malheureux et plutôt embarrassant. Il lui suffisait d’imaginer la scène pour avoir envie de rire. Ce n’était pas le moment. Debout devant la porte du bureau paternel, il se tenait bien droit, un grand sourire niais aux lèvres et ses mains serrant nerveusement le précieux document roulé entre ses mains. Pour lui, pour ce qu’il pouvait lui permettre d’espérer, il serait allé retrouver son père n’importe où! Enfin, non, peut-être pas n’importe où. Interrompre un important rendez-vous, par exemple, ne l’aurait pas mis en bonne condition pour lui venir en aide et cette aide, il en avait besoin. Puis, il devait rejoindre Catherine, sa Catherine, à la clairière. Il ne voulait pas trop la faire attendre.
Il prit une grande inspiration avant de cogner pour s’annoncer. Par tous les Dieux! Ce n’était que son père! Il étouffa un petit rire nerveux. S’il était déjà aussi fébrile, qu’en serait-il le jour où il irait faire sa demande à Hector Gadelle!
– Entrez!
Il ouvrit la porte et referma derrière lui. Il en profita pour grappiller quelques secondes. Comme si elles avaient pu suffire à lui donner courage et calmer son excitation.
– Paul! Quand es-tu rentré de Redoussa? Je ne t’attendais pas si tôt!
– Bonjour papa. Depuis quelques heures. Mon maître et moi avions à faire avec l’intendant du duc.
D’un geste, Hugues Coulombe l’invita à s’asseoir sur le fauteuil face à son bureau.
– La rencontre s’est-elle bien déroulée?
– À merveille!
Le jeune se laissa tomber sur le siège et tendit son document à son père, l’air heureux. Celui-ci le prit avec un grand sourire, prêt à partager son bonheur. Malheureusement, très vite, la lecture du contrat le fit déchanter. Il dévisagea son fils, catastrophé.
– Qu’est-ce… Est-ce une plaisanterie?
Il jeta le papier devant lui, méprisant.
– Tu mérites beaucoup mieux que ça! Comment Cotaux a-t-il pu tremper dans cette affaire? J’avais une meilleure opinion de lui!
– J’ai dû déployer des trésors de persuasion! Au final, quand il a compris que je ne céderais pas, il m’a offert son soutien comme présent en reconnaissance de mon bon travail.
Hugues s’enfonça dans son fauteuil et prit une grande inspiration.
– Ce ne sera pas facile de défaire ça… Mais je ne te laisserai pas gâcher ta vie, fils. Nous trouvons une solution.
– J’ai besoin de ce travail, papa. La fille Hurtibier se marie.
– J’en ai eu vent, mais en quoi cela te concerne-t-il?
– Je veux acheter la maison de son père.
– Non! Hors de question! As-tu perdu la tête?
Il continua à tempêter. Paul ne l’écouta plus. Il rêvassa à de longs cheveux noirs, de beaux yeux verts et à des lèvres si douces qu’il ne se lassait jamais de les embrasser.
– Paul!
Le cri de son père le fit sursauter sans réussir à lui faire perdre son sourire idiot.
– Oui?
Ils se dévisagèrent. Le regard mauvais d’Hugues l’accusait de ne pas avoir été attentif. Le haussement d’épaules de son fils affichait son manque d’intérêt pour les reproches.
– Pourquoi? Tu as du talent, l’avenir devant toi et tu es le bienvenu sous mon toit. En douterais-tu?
Il était blessé. Ce n’était pas le but recherché, mais au moins ainsi était-il prêt à l’entendre.
– Parce que mon père est de bon conseil. Selon lui, un homme digne ne devrait pas demander la main d’une jeune fille sans rien avoir à lui offrir.
Les mots firent lentement leur chemin dans l’esprit de son père. Sur son visage, il pouvait lire l’évolution de sa pensée. De l’incompréhension à l’incrédulité, suivit par la joie et finalement la consternation.
– Tu as mis l’une de tes conquêtes enceinte… Je n’en suis pas fier, tu t’en doutes, même si je respecte ton sens des responsabilités. Je vais t’aider. Nous réglerons le problème sans…
Il fut interrompu par le fou rire du jeune homme. Choqué, il ne sut plus que dire.
– Je suis amoureux, papa! Elle est belle, merveilleuse et oui, tu peux être fier de moi. J’ai été très sage. Je ne veux pas réparer une sottise. Je veux l’épouser et faire les choses correctement. Je t’en prie, aide-moi à m’installer, pour elle.
– Qui… qui est-elle?
– Je ne peux pas en parler pour le moment. Entre autres pour préserver sa réputation qui est intacte et m’est précieuse. Elle n’a rien fait pour y porter préjudice, mais regarde ta réaction. Je préfère attendre l’annonce de nos accordailles.
Hugues éclata de rire à son tour, soulagé. Son fils, son fils bien-aimé, dont il avait tant réprouvé les exactions sentimentales rentrait dans le droit chemin.
– Évidemment, tu peux compter sur moi. Allons, étudions un peu ce dont tu as besoin.
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