Il y a de bons et de mauvais côtés à s’autopublier, le pire étant de réussir à se faire connaître. Parmi les bons, il y a celui de ne pas subir de pression vis-à-vis de son travail. Je pense entre autres à une série très connue, que je ne nommerai pas. À mon avis, le premier tome était bien écrit, mais manquait de contenu. Par contre, la suite avait du potentiel, mais la rédaction avait été bâclée. Ça sentait à plein nez l’éditeur cupide voulant à tout prix surfer sur une vague de popularité. Je n’ai pas ce genre de problème. Bien sûr, la rédaction du tome 2 n’avance pas toujours aussi vite que je le souhaiterais. J’ai passé la première semaine de mon retour de vacances à travailler et retravailler les premières pages du chapitre 10, alors on comprendra pourquoi. Je sais, c’est long, mais, ainsi, je sais que lorsque le livre sortira, je serai fière du résultat. Bref, le chapitre 10 est terminé. Pour fêter cela, vous faire patienter… ou vous donnez envie, en voici un petit extrait.
Extrait du chapitre 10 de la nouvelle reine:
L’humeur était joyeuse. Nous faisions route dans la bonne humeur. Mes éternelles appréhensions avaient été remisées dans un coin afin de me mettre au diapason avec ma famille. Juchée sur Galdor, je bavardais, plaisantais et me moquais des allusions, aucunement subtiles, d’Amélia qui aurait préféré cheminer en selle. Mon sourire s’effrita aux abords de la ville. Les premières rumeurs en provenance du temple me parvenaient. Je n’avais pas prévu cela. Je ne devais pas y aller. Je l’avais su, je le savais. Je regrettais d’être là. Je n’aurais pas dû céder et accepter. J’aurais dû… Il était trop tard pour revenir en arrière. Maintenant, je devais tourner bride et rentrer au Sanctuaire. Ce serait préférable pour tous. Sauf peut-être pour cette sotte d’Aimée… Je fermai les yeux, accablée. Assise dans la carriole, elle devisait gaiement, un large sourire radieux illuminant son visage. Je ne pouvais lui faire ça, je lui avais promis… Qu’avais-je donc fait de mes « bonnes » résolutions? J’inspirai profondément. Je redressai les épaules et reportai mon regard au loin. Malgré mon insistance, elle ne m’avait pas écoutée. Elle avait fait son choix. Je le respecterais, quoiqu’il m’en coûtât.
Me résoudre à aller jusqu’au bout était une chose, mais plus la distance se réduisait et plus j’étais tendue. La nouvelle de ma participation à la noce s’était répandue et avait attiré moult curieux. Les invités étaient noyés dans une mer d’indésirables. Une bande de vautours avide de sensationnel attendait impatiemment le début de la représentation. Ils se délectaient de la confrontation à venir. Elle promettait d’être remarquable. Tous les prêtres étaient présents. Ce n’était pas simplement inhabituel, c’était anormal. Nul, si ce n’était un membre reconnu de la famille ducale, n’avait droit à cet honneur. Un riche bourgeois bien en vue pouvait s’enorgueillir de la présence d’au plus deux ou trois. Une paysanne et un compagnon sans le sou devaient se considérer heureux de retenir les services d’un seul. Théo et Aimée avaient été ravis d’obtenir l’accord du prêtre de Brovian. Commencer leur vie commune sous l’égide de l’espoir et de l’avenir leur semblait de bons augures. Avec un nombre incalculable d’unions à son actif, ce prêtre était très à l’aise dans son rôle d’officiant. Par contre, il ne se sentait pas apte à se dresser seul contre moi, un avis partagé par ses confrères. Ils s’étaient donc réunis, unis, prêts à faire front.
Nous laissâmes montures et attelage dans un emplacement prévu pour nous à proximité du temple. Arrivés sur le parvis, nous nous séparâmes. Ma mère, Paul, grand-père, oncle Thomas, Corine et les enfants entrèrent et se dépêchèrent de rejoindre le reste de la famille. Moi, selon la tradition, je devais précéder la mariée au bras de son père de quelques pas et la guide jusqu’à l’autel, où je prendrais place non loin d’elle. J’aurais préféré affronter un régiment de soldats, armes au clair. Peut-être avais-je encore une chance de la raisonner… J’ouvris la bouche, elle me devança d’un murmure.
– Merci d’être là.
Oh et puis zut! J’avais fait pire… Ou peut-être pas… Où se situait, par rapport à cela, crier sur un roi dans sa salle du trône?
– Allons-y!
Je poussai les portes et entrai. Tous les regards se fixèrent sur moi, ignorant la magnifique mariée derrière moi. Ce n’était pas très juste. La voix du prêtre du Dieu-Père tonna.
– Pas un pas de plus! Vile sorcière, engeance du mal. Au nom de Astélor, le Dieu-Père, et de tous les Dieux, je te chasse de ce lieu saint! Nous ne te permettrons pas de le souiller, comme tu as corrompu les esprits faibles par ton venin et tes maléfices. Dépravée, tu as vendu ton âme aux ténèbres. Ta place n’est plus au milieu des honnêtes gens. Retourne dans ta fange, je te l’ordonne!
Il n’en faisait pas un peu trop, ce satané quidam? Il se dressait au bout de l’allée, devant l’autel et les autres prêtres, les bras levés, imposant et autoritaire. Enfin, dans une posture qui se voulait imposante et autoritaire. Il ne me facilitait pas la tâche. M’eut-il demandé poliment de sortir, je me serais inclinée. Nous étions sur son territoire, j’étais en faute. Ç’aurait été simple. En l’occurrence, lui obéir aurait des conséquences bien pire que ma fierté froissée. Ce serait reconnaître la véracité de ses affirmations. Je mettrais en péril tout le travail accompli. Je risquerais la vie et l’avenir de personne me faisant confiance.
Je ne bougeais pas. Je réfléchissais. Que faire? Que dire? Aimée ne comptait pas se laisser arrêter par si peu. Elle m’attrapa de son bras libre et s’avança au pas de charge, nous traînant, grand-père et moi, à sa suite. J’avais déjà vu marche plus solennelle.
– Bonjour mes pères! Belle journée, n’est-ce pas? Je viens me marier! Euh… Papa… Si tu acceptes de m’offrir à mon fiancé, cela va de soi.
Mon grand-père lui sourit et d’un baiser sur le front, lui accorda sa bénédiction. Son devoir accompli, il alla s’asseoir au premier rang. Les prêtres abasourdis fixaient cette folle devant eux. Elle ne pouvait pas être sérieuse. Je craignais que si.
– Les Dieux sont miséricordieux, mon enfant. Ils verront votre repentir. Ils sauront pardonner votre écart et vous accorder, par notre truchement, ce que désire votre cœur, après le départ de cette chose.
Le mépris suintait des derniers mots du prêtre du Dieu-Père. Aimée regarda le sol à ses pieds. Elle se pencha légèrement et le scruta de part et d’autre. Elle surjouait une ingénue curieuse et surprise d’apprendre qu’un objet abject avait été abandonné dans les parages. Elle laissa de longues secondes s’écouler avant de faire mine de remarquer où était fixé le regard exaspéré du prêtre.
– Oh! Mais, non… Il s’agit de Catherine! Elle est mon témoin. Je ne peux décemment pas me marier sans mon témoin!
Elle lui dédia un large sourire, comme si elle était ravie de l’éclairer sur un point d’une telle évidence.
– Il faudra vous en trouver un autre.
Elle se tapota les lèvres du bout de l’index, pensive.
– Ce serait une possibilité… Je suppose… Non… Définitivement, ce ne serait pas une bonne idée. Ce serait humiliant pour elle de se voir relégué sur le banc pour assister à la cérémonie. Et de quoi aurais-je l’air? J’ai tant insisté!
Le prêtre avait une patience très limitée et aucun sens de l’humour. Il gronda sa réponse, se retenant de peu de la hurler.
– Peut-être n’êtes-vous pas prête à vous unir sous le regard des Dieux et devriez-vous partir avec elle.
Je n’aimais pas l’insinuation, ni la tournure des événements. Je l’appréciai encore moins lorsque ma jeune tante cessa ses facéties et, d’un air grave, plongea son regard dans celui de son fiancé. Il hocha la tête et lui sourit amoureusement. Je blêmis. Non… Elle n’oserait pas! Bon sang! J’étais incurable! Je lisais dans les pensées, comment avait-elle réussi à me cacher ses intentions?! Voulait-elle déclencher une guerre?
– Notre décision est prise, mon père. Nous nous marions, aujourd’hui.
– Vous savez ce qu’il…
Elle l’interrompit en se tournant vers moi.
– Catherine, tu es la grande prêtresse de la Déesse, n’est-ce pas? Donc, tu pourrais nous unir!
Je me raclai la gorge, avant de mettre à bafouiller, sous le choc.
– Oui, en théorie…
Elle hésita et se mordilla la lèvre.
– Est-ce nécessaire de se rendre au Sanctuaire? Ce serait malvenu de faire cela à l’intérieur du temple, nous sommes d’accord. Mais, si nous devions nous rendre là-bas, ce serait un peu plus compliqué. Tu connais sa mauvaise réputation. Je sais, elle est injustifiée. Il faudra du temps pour la faire oublier. Enfin, nous risquerions de perdre des invités en cours de route… Crois-tu pouvoir tenir la cérémonie sur le parvis?
Elle m’assommait, littéralement. Je n’arrivais plus à aligner deux pensées correctement. J’avais envie de la secouer, de lui faire entendre raison et de chasser cet espoir insensé de ses yeux. Au lieu de ça…
– Ce serait envisageable…
Elle me sourit et reporta son attention sur le prêtre.
– Voilà, c’est réglé! Le mariage aura lieu et ma nièce y assistera. Par contre, vous, votre présence est optionnelle. Je trouve cela dommage. Depuis ma plus tendre enfance, je rêvais de ce moment. Je m’imaginais remontant l’allée. Je m’avançais vers mon beau et gentil fiancé. Nous échangions nos vœux, devant l’autel. La cérémonie était simple et touchante. Bien sûr, dans ma rêverie…
Elle tourna sur elle-même, en riant doucement.
– L’assistance était beaucoup moins importante. Il n’y aurait eu que nos familles et nos amis, ç’aurait été plus intime. Je n’aurais pas, non plus, marché dans l’allée à une telle allure et je ne me serais pas attendue à un tel nombre d’officiants! Heureusement, le fiancé correspond. Il est tout à fait convenable!
Théo gloussa et lui fit un clin d’œil.
– Je ne renoncerai pas à tout cela de gaîté de cœur. Je n’agirai que contrainte et forcée. J’ai foi en les Dieux, foi qu’ils béniront cet hymen. Peu importe la manière dont il sera conclu.
Le prêtre prit une grande inspiration. Ses prochaines paroles la condamneraient. Jusqu’alors, il l’avait posé en victime prise dans mes filets. En la poussant à me rejeter publiquement, il œuvrait à m’abattre. Puisqu’elle s’obstinait à refuser, il lui offrirait sa part d’opprobre. Il ferait d’elle une potentielle sorcière. Il la plongerait dans l’infamie. Je ne lui permettrais pas! Je le devançai, m’adressant à la foule.
– Je n’ai pas menti, ce jour-là sur la grande place. À quoi bon! Je n’ai rien à cacher.
Si ce n’était mon véritable non, bien sûr. Peut-être aussi la limite de mes capacités, de crainte de les effrayer, et leurs nombreux petits secrets scabreux, ce n’aurait pas été très éthique de les révéler. Il n’y avait pas là de quoi faire toute une histoire!
– Je pourrais prétendre me moquer de ce que vous pensez moi. Ce serait faux. Je suis humaine. Comme vous tous, je préfère être appréciée. Les calomnies me blessent et les trop grandes louanges m’embarrassent. Toutefois, peu importe votre opinion, je ne vous veux aucun mal. Au contraire, je vous protégerai. Plus jamais n’aurez-vous à subir de pertes injustes entre les mains de l’Inquisition.
– Cette institution est le bras armé des Dieux!
J’avais remporté ma première victoire. J’étais de nouveau la cible du prêtre du Dieu-Père. Je lui répondis en m’adressant à l’assistance.
– Si une volonté divine les guide, pourquoi font-ils tant d’erreur et n’essaient-ils pas d’y remédier?
– Ils ne font jamais d’erreur!
Il était furieux, autant par mon accusation que par mon attitude irrévérencieuse. Je tournai la tête vers lui.
– Vraiment? Je n’ai pas oublié les paroles de l’inquisiteur, lorsqu’ils ont ramené sur la berge le corps de ma mère et notre cousine Victoria. Je me souviens exactement de chaque mot. « Réjouissez-vous et priez avec moi, brave gens de Valish-le-bas! Car ce village n’a pas connu le mal, les Dieux l’en ont préservé. Par leur mort, ces femmes ont prouvé leur innocence. » Si elles n’étaient coupable en rien, qu’était-ce sinon une erreur ou un meurtre?
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