Je vais vous raconter une bonne blague. Avec ce qui est prévu pour le tome 2, j’ai toujours pensé qu’il serait plus petit que le 1. Après avoir rédigé son plan… Je me suis même un peu inquiétée. Serait-il trop petit? Je sais que dans l’absolu ce ne serait pas si grave, mais comme le tome 3 promet d’être assez lourd, perdu entre deux grosses briques, ça aurait fait bizarre. Bref, j’ai commencé à l’écrire et j’ai remarqué qu’un certain chapitre 6 avait été largement sous-estimé. J’ai donc révisé le plan. Devinez quoi? Le chapitre 11 et potentiellement 2 autres chapitres sont dans le même cas! Il ne fera pas 1, mais 4 chapitres! D’accord, je suis incurable. La nouvelle reine ne fera pas honte aux autres volumes du cœur de l’Oealys!
Tout cela pour dire que, malgré une semaine peu productive, la canicule au Québec m’a rendu malade, j’ai terminé le chapitre 11. Un petit extrait pour fêter ça?
Extrait
Le soleil s’élevait au-delà de l’horizon. À la douce lumière de ce début de matinée printanière, nous longeâmes Grimstone avant de prendre la direction du sud-est. J’avais appréhendé ce moment. À mes yeux, prendre la route était une nécessité désagréable. Avec mes précédents, était-ce surprenant? J’avais été forcée de quitter Valish-le-bas. J’avais traversé le pays, endeuillée et impuissante, charroyée par les uns et les autres sans avoir mon mot à dire. Puis, il y avait eu la course folle vers Arane, où j’avais toujours eu si peur, suivi de la fuite chaotique des réfugiées. S’il y avait eu un côté plaisant à cela, je ne l’avais pas découvert. Au fil des heures, je révisai mon jugement. Nous avions emporté des provisions pour plusieurs jours. Nous avions de l’or à profusion pour nous ravitailler en chemin. Nous avions le nécessaire pour nous monter un camp sommaire, mais confortable. J’avais fait l’effort de laisser mes soucis derrière moi. Je ne pourrais rien y faire avant mon retour, alors à quoi bon m’inquiéter? Il n’y avait aucun danger immédiat et nos destinations étaient prometteuses. C’était agréable. Je me sentais libre et légère, contaminée par la bonne humeur collective. Nous discutions, nous plaisantions, nous riions et nous chantions. Les journées étaient douces et les nuits paisibles.
À l’approche d’une petite ville, cette jovialité fut assombrie par une certaine tension, née de souvenirs et d’incertitudes. Là-bas, neuf mois plus tôt, Vivéka et Agathe se faisaient jeter, sans façon, sur le plancher d’une carriole, pieds et poings liés. Elles pleuraient. Elles s’étranglaient avec leurs sanglots en s’efforçant de demeurer discrètes, de crainte d’attirer l’attention de leurs bourreaux. Elles avaient mal, si mal. Durant une semaine, elles avaient été interrogées. Les questions avaient été ineptes et les réponses dédaignées. Ce n’avait été qu’une mise en scène, un prétexte pour les battre et justifier de les enlever. L’attelage s’était ébranlé. Il les amenait loin, les arrachait à leur vie. C’était un abominable cauchemar. Elles n’avaient rien fait. Pourquoi ne les écoutaient-ils pas? Allongées sur cette surface dure, secouées par les cahots, la vision brouillée par les larmes, elles avaient eu la certitude d’avoir sombré dans le malheur et l’atrocité, de ne pouvoir tomber plus bas. Elles avaient eu tort. Ce n’avait été qu’un préambule, le pire restait à venir.
Les détails surgissaient de leur mémoire, cinglants et douloureux. Volontairement ou non, elles me les confiaient, me les partageaient. J’aurais préféré l’éviter, ne rien savoir, être lâche et ignorante. Une solution de facilité que ma conscience n’aurait jamais acceptée. Puisque je n’en avais ni la possibilité, ni le droit, je serais forte, pour elles. Il le fallait. Elles le méritaient. Je mis pied à terre. À l’écart de la route, un bosquet offrait un endroit tranquille où faire halte, avec vue sur la bourgade. De là, j’entendais la rumeur de leurs pensées, de leur vie. Ça devrait aller. L’inverse serait également vrai. Quand je m’y trouverais, je pourrais veiller sur ceux rester ici. Bien que Vivéka, Agathe et moi fissions le reste du trajet à pied, Galdor m’accompagnerait. En cas d’imprévu, je pourrais réagir rapidement. Paul m’enlaça et m’embrassa tendrement.
– Sois prudente.
– Promis.
Lieu de rencontres, de partages et de commerces, la petite place du marché fourmillait d’activités. L’agglomération rayonnait autour d’elle. En ce milieu d’après-midi, tout un chacun vaquait à ses occupations. Des enfants riaient. Des amoureux profitaient du temps doux. C’était une ville comme tant d’autres, simple, modeste et apparemment sans histoire. Nous marchions en silence, choisissant les rues les moins passantes. Les rares promeneurs que nous croisâmes nous jetèrent des regards curieux, sans malice. À un carrefour, Agathe s’arrêta.
– Je suis arrivée. Vois-tu? C’est juste là.
Elle me désigna d’un geste une demeure à une centaine de mètres devant nous.
– Je ne te laisse pas.
Elle s’agita, gesticula, ouvrit et referma la bouche, sans parvenir à prononcer un mot et soudain, explosa.
– Je ne veux pas de toi! Je sais pourquoi tu es là! Nous n’étions pas assez dociles, n’est-ce pas? La suprématie de sa majesté était en danger. Alors tu as voulu nous prouver que nous aurions dû t’écouter. Il n’y aura rien à voir. Ça ne fonctionnera pas! Tu ne sais rien!
Elle tremblait. Elle se retenait de hurler. Je la fixai et attendis, muette et patiente. Elle céda et sembla s’effondrer sur elle-même.
– Tu me fais peur…
– Ce n’est pas mon intention. Crois-moi, je ne serais pas venue si j’avais jugé qu’il n’y avait aucune chance. J’aurais préféré vous laisser me lyncher et en ce moment je serais aux prises avec un terrible dilemme. Qu’est-ce qui serait le pire, retenir de force les inconscientes ou les laisser courir à leur perte et m’en sentir coupable? C’est ta famille. Tu les connais, contrairement à moi. Tu es plus à même de juger de leur réaction. J’ai dit ne pas t’abandonner et non que je m’imposerais. Va leur parler seule, si tu te sens plus à l’aise ainsi. Ça ne me cause aucun problème. Je vais attendre là. Je n’accompagnerai Vivéka chez ses parents qu’après m’être assurée que tout va bien pour toi. Si tu as le moindre problème, tu n’auras qu’à m’appeler. Sinon, je reviendrai lorsque nous en aurons terminé.
Elle acquiesça d’un brusque hochement de tête, la gorge nouée.
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